Environnement

Elias Niyongabo, chercheur environnementaliste : « Sans action urgente, nous courons à la catastrophe »

Propos recueillis par Samuel MBONIMPA

Dans cet entretien exclusif, le chercheur environnementaliste Elias Niyongabo analyse en profondeur la montée inhabituelle des eaux du lac Tanganyika ainsi que les catastrophes climatiques observées en 2024. Il alerte sur l’urgence d’une action concertée entre les pays riverains.

EJO Magazine : À quoi est due la montée inhabituelle des eaux du lac Tanganyika ?

Elias Niyongabo : Pour comprendre cette situation, il faut s’intéresser à l’équilibre hydrique du lac. Le niveau du Tanganyika dépend du rapport entre les apports d’eau et les pertes. Il est principalement alimenté par les précipitations et les affluents provenant d’un bassin de près de 250 000 km² couvrant le Burundi, la RDC, la Tanzanie, la Zambie et le Rwanda.

L’évaporation constitue la principale voie de sortie des eaux, représentant plus de 80 % des pertes. Ensuite vient la rivière Lukuga, le seul exutoire du lac.
 Lorsque le niveau de l’eau augmente, cela signifie que les entrées surpassent les sorties. Cette élévation s’explique par des pluies exceptionnelles, amplifiées par le phénomène climatique El Niño.
 À cela s’ajoute une érosion généralisée dans le bassin versant, qui provoque le déversement de centaines de millions de tonnes de sédiments dans le lac. Le volume disponible pour contenir l’eau se réduit, alors que la masse d’eau reste constante. C’est ce qui explique la montée du niveau.

EJO Magazine: Vous évoquez également une évolution inquiétante des températures. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Elias Niyongabo : À l’échelle mondiale, on observe une hausse significative des températures, avec des conséquences graves : réchauffement des océans, fonte des glaciers, augmentation de l’humidité atmosphérique.
 Cette humidité affecte le processus d’évaporation, qui, je le rappelle, est la principale voie d’évacuation de l’eau du lac. Moins il y a d’évaporation, plus l’eau s’accumule, ce qui contribue encore davantage à la montée du niveau du Tanganyika.

EJO Magazine: Vous avez mentionné un projet qui vous inquiète. De quoi s’agit-il ?

Elias Niyongabo: En 2016, un projet financé par la Banque Mondiale prévoyait la construction d’un barrage sur la rivière Lukuga, dans le but de relever artificiellement le niveau du lac afin de faciliter la navigation commerciale.
 Le problème, c’est que ce projet ne s’attaque pas à la cause principale, à savoir l’érosion. Si les sédiments continuent à s’accumuler, ils finiront par atteindre le nouveau niveau artificiel créé par le barrage. Il s’agirait donc d’une solution inefficace sur le long terme.

EJO Magazine: Les montagnes qui surplombent Bujumbura sont-elles en cause ?

Elias Niyongabo: Ces montagnes sont naturellement instables, composées de roches sujettes aux glissements de terrain. Mais leur exploitation désordonnée, l’intensification de l’agriculture et l’absence de planification durable aggravent leur fragilité.
On assiste ainsi à une dégradation progressive de ces zones déjà vulnérables.

Elias Niyongabo, chercheur environnementaliste

EJO Magazine: Craignez-vous que la ville de Bujumbura soit directement affectée ?

Elias Niyongabo: Malheureusement, oui. Au lieu de reboiser ces montagnes pour stabiliser les sols, on continue à les déboiser à un rythme alarmant.
La pression démographique croissante entraîne une demande agricole continue, y compris dans les zones les plus sensibles.
Si aucune mesure sérieuse n’est prise, nous nous dirigeons tout droit vers une catastrophe.

EJO Magazine – Quelles pourraient être les conséquences sociales et économiques de ces catastrophes climatiques ?

Elias Niyongabo :Sur le plan social, on peut s’attendre à des déplacements massifs de populations. Tous les habitants vivant en dessous de 780 mètres d’altitude autour du lac devront, tôt ou tard, quitter leurs habitations. Cela entraînera des pertes d’activités et de moyens de subsistance.

Économiquement, les ports situés autour du lac — à Bujumbura, en Tanzanie ou en Zambie — subiront d’importantes perturbations. La biodiversité du lac est également menacée, notamment les espèces emblématiques comme le mukeke, le ndagala ou le capitaine. Leur disparition représenterait une perte économique majeure pour le Burundi.

EJO Magazine – Quelles solutions proposez-vous ?

Elias Niyongabo: Il est essentiel de mettre en place un aménagement global et coordonné du bassin versant du lac Tanganyika, incluant tous les pays concernés, y compris le Rwanda.
 Ce projet nécessitera des investissements importants, mais il est indispensable pour la survie de l’écosystème et des communautés.

Ensuite, il faut adapter la législation environnementale : par exemple, fixer des seuils de construction en fonction de l’altitude plutôt que de la distance par rapport au rivage.
 Enfin, une solution moins coûteuse mais audacieuse serait de draguer la rivière Lukuga pour en augmenter le débit, ce qui permettrait de mieux contrôler le niveau du lac.

Related Articles

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Back to top button